Une société dont l’activité de livraison repose sur une plateforme numérique (on la nommera « HUBERTBOUFFE » pour ne pas citer son nom) conclut des contrats de prestation de services avec des livreurs immatriculés en tant qu’auto-entrepreneurs. La société se voit opposer, par l’un des livreurs dont le compte a été désactivé, l’existence d’un contrat de travail.
Pour l’anecdote, derrière cette jolie histoire on va aujourd’hui debunker l’un des tournants majeurs en droit du travail selon moi, l’arrivée des travailleurs de plateforme. Dans le monde qui est le nôtre, notre société s’est digitalisée à une telle rapidité qu’on ne pouvait envisager il y a 20 ans qu’un particulier puisse rendre des services de façon professionnelle par le biais d’un bijou qu’est l’auto-entreprise. Et ça c’est grandiose. Néanmoins il a fallu définir un cadre juridique pour dresser une règlementation en bonne et dûe forme, et c’est l’histoire que je vous compte aujourd’hui.
Dès lors, la question est la suivante un contrat de travail peut-il être reconnu entre une plateforme numérique et des livreurs immatriculés en tant qu’auto-entrepreneur ayant conclu un contrat de prestation de services avec la plateforme ?
Avant tout de chose, il fallait récolter des preuves, mais comment ? Afin d’éviter la rétention d’information le législateur a permis au salarié de combattre à armes égales
S’agissant des moyens de preuve : le principe est celui de l’indisponibilité de la qualification de CT. « L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ».
Cette solution n’est que l’application de l’art 12 du code de procédure civile : « le juge peut donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ».
S’agissant de la charge de la preuve : C’est à celui qui revendique l’existence d’un contrat de travail d’en démontrer l’existence (application du droit commun de la preuve).
Enfin l’article L8221-6, I CT établit une présomption de non salariat pour les personnes immatriculées au RCS, il s’agit seulement d’une présomption simple et l’existence d’un contrat de travail peut être établie lorsque la personne « fournit directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans les conditions qui les placent dans un lien de subordination jurdiique permanente à l’égard de celui-ci ».
Le contrat de travail est défini par la jurisprudence comme le contrat par lequel une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre personne moyennant rémunération.
Trois critères doivent être caractérisés:
L’existence d’une rémunération est nécessaire pour requalifier une relation en contrat de travail (Soc 29 janvier 2002).
La rémunération peut prendre des formes diverses, en argent, en nature, de manière fixe ou sous forme de commission.
Le montant de la rémunération importe peu, la rémunération donnée peut entrainer la requalification en contrat de travail, même si elle est inférieure au SMIC (Trojani 2004)
Une prestation de travail consiste en l’exercice d’une activité en vue de la production, au profit d’une autre personne, d’un bien ou d’un service, en principe à destination de sa clientèle.
La jurisprudence n’a jamais donné une définition précise de la prestation de travail. Elle adopte néanmoins une vision large. Peut ainsi constituer une prestation de travail, la participation à une émission de télé.
Le lien de subordination est l’élément déterminant de la qualification de CT.
La CCass en retient une approche juridique et considère qu’il se caractérise par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements (Soc 13 nov 1996)
Cette def impose le recours à la méthode du faisceau d’indices de l’état de subordination. A cet égard, le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail (Soc 1er dec 2005).
Il est possible de s’interroger sur les effets de la reconnaissance d’un contrat de travail sur l’exécution et sur la rupture.
Au titre de l’exécution, le salarié pourrait solliciter un rappel de salaires si la rémunération versée ne correspond pas aux minima légaux et conventionnels (L3221-1/ L3231-12). Par ailleurs, les sanctions pécuniaires étant illicites en droit du travail, les systèmes de « malus » pourraient être remis en cause sur ce fondement.
Au titre de la rupture : le salarié pourrait contester tant la procédure que le fondement de la rupture de son contrat. Il y a en effet, de force chances que la désactivitation du compte n’ait pas respecté la procédure de licenciement et encore moins la procédure de licenciement pour motif disciplinaire qui nécessite, entre autres, l’organisation d’un entretien préalable avec la possibilité pour le salarié d’être assisté.
La méconnaissance de cette procédure est susceptible de permettre au salarié d’obtenir au minimum un mois de salaire.
Quant au fondement du licenciement, quand bien même une faute disciplinaire pourrait être caractérisée par le manquement du salarié à ses obligations contractuelles, si aucune lettre de notification n’a été rédigée par l’employeur, alors, en l’absence de toute modification, le salarié pourrait solliciter une indemnité pour absence de cause réelle et sérieuse en application de L1235-2 et L1235-3 du CT.
En tout état de cause, le salarié pourrait revendiquer le versement de l’indemnité de licenciement et d’une indemnité compensatrice de préavis (L1234-1 et L1234-9).
C’est quand même dingue, d’obtenir tout ça. C’est une véritable chance et beaucoup l'ignorent encore.