Lorsqu’un salarié menace d’entamer une action en justice contre son employeur, une question légitime se pose : peut-on licencier un salarié pour ce motif ?
À première vue, il semble évident que le droit pour un salarié de saisir la justice est une liberté fondamentale. Cependant, la jurisprudence montre que des situations particulières peuvent amener à des décisions de justice plus nuancées.
En droit du travail, la protection des salariés contre des représailles lorsqu'ils souhaitent exercer leurs droits est essentielle. Licencier un salarié pour avoir simplement menacé d'intenter une action en justice est donc, en principe, illégal.
Cette protection repose sur un principe fondamental : la liberté d’agir en justice. Cette liberté, qui garantit à tout justiciable l’accès aux tribunaux, est un droit protégé par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Cet article stipule que toute personne a le droit de saisir une juridiction pour défendre ses droits et intérêts, notamment dans le cadre de litiges avec son employeur.
Un licenciement fondé uniquement sur la menace d’action en justice serait considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse, une condition essentielle pour la légalité d’un licenciement selon l’article L.1232-1 du Code du travail.
Cela signifie qu’un tel licenciement pourrait être annulé par les juridictions compétentes, comme le Conseil de prud’hommes, et entraîner la réintégration du salarié ou le versement de dommages et intérêts.
La protection de la liberté d’agir en justice découle d’un principe plus large de justice équitable, protégé également par l’article 6 de la CEDH. Cela inclut le droit pour un salarié de contester, sans crainte de sanctions, les décisions de son employeur qu’il considère comme injustes.
Ainsi, toute sanction qui viserait à empêcher un salarié de saisir les tribunaux ou à le punir pour avoir exprimé son intention de le faire serait contraire à cette protection fondamentale.
Il est donc primordial que l’employeur distingue entre une menace légitime d’agir en justice, qui fait partie des droits du salarié, et une éventuelle intimidation ou abus de droit, qui pourrait, dans des circonstances très spécifiques, justifier une sanction disciplinaire. Toutefois, la simple évocation d’un recours judiciaire ne peut en aucun cas justifier une rupture du contrat de travail, sauf dans des situations exceptionnelles où cette menace s’accompagne de comportements abusifs ou d’une intention malveillante avérée.
Ainsi, la jurisprudence française, fidèle à ces principes, veille à ce que l’accès à la justice ne soit jamais compromis par des actions punitives de la part des employeurs. Un salarié doit toujours pouvoir exercer son droit de contester une décision prise par son employeur sans craindre pour son emploi, sous peine de voir son licenciement annulé et l’employeur condamné.
Toutefois, comme en témoigne un récent arrêt de la Cour de cassation, un salarié qui abuse de son droit d’agir en justice en usant de ce dernier comme un moyen de pression ou d’intimidation peut légitimement être licencié. La jurisprudence a ainsi évolué pour intégrer la notion d’abus dans ce type de situation.
Dans un arrêt du 7 décembre 2022 (Cass. soc., 7 déc. 2022, n°21-19.280), la Cour de cassation a validé le licenciement d’un salarié qui avait menacé son employeur de porter plainte auprès des autorités policières.
Cette menace s’inscrivait dans un contexte global de menaces répétées à l’encontre de ses collègues et supérieurs hiérarchiques, marquant ainsi un comportement abusif de la part du salarié.
La haute juridiction a estimé que le salarié avait ainsi détourné son droit d’agir en justice dans le but de nuire à l’employeur et de créer un climat de tension.
Cette décision marque une frontière importante entre l’exercice légitime du droit d’agir en justice et son usage abusif. Lorsqu’un salarié utilise la menace d’une action en justice comme un outil d’intimidation, son comportement peut être considéré comme fautif, et justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Il est essentiel de faire la différence entre une menace légitime d’agir en justice et une intimidation. Lorsqu’un salarié exprime l’intention de saisir le Conseil de prud’hommes pour contester une décision de son employeur, cette démarche est parfaitement licite et relève de l’exercice normal de ses droits.
En aucun cas, une telle menace, dans le cadre d’un litige sur des questions de travail, ne peut justifier un licenciement.
Le salarié exerce ici son droit fondamental de recours à la justice, protégé par la Constitution et les textes internationaux, notamment l'article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En revanche, lorsqu’une telle menace s’accompagne de comportements menaçants ou s’inscrit dans un schéma de harcèlement ou de pression répétée à l’égard de l’employeur ou des collègues, elle peut être qualifiée d’abusive.
Cette distinction est nécessaire, car un abus du droit d’agir en justice, notamment lorsqu'il est utilisé comme moyen d’intimidation ou pour créer un climat de peur, peut entraîner des sanctions disciplinaires, voire un licenciement pour faute grave.
L’article 1240 du Code civil dispose que toute personne qui, par sa faute, cause un dommage à autrui est tenue de le réparer.
Ce principe s’applique également au comportement abusif d’un salarié, qui, en usant de menaces ou en exerçant une pression excessive sur son employeur, outrepasse ses droits.
Ce comportement peut dès lors justifier une sanction disciplinaire, incluant le licenciement, dès lors que l’intention de nuire ou de porter atteinte à l’intégrité psychologique de l’employeur ou des collègues est démontrée.
Dans les décisions de justice, le contexte dans lequel une menace est formulée joue un rôle central dans l’évaluation de sa légitimité ou de son abus. En effet, un employeur qui souhaite justifier un licenciement pour menace d’agir en justice doit être en mesure de prouver que cette menace s’inscrit dans un cadre plus large de comportements abusifs.
Cela peut inclure des antécédents de menaces similaires, des comportements intimidants ou encore des tentatives de déstabilisation de l’entreprise.
Ainsi, un salarié qui aurait déjà eu recours à des tactiques intimidantes envers ses collègues ou sa hiérarchie pourrait voir son licenciement validé par les tribunaux, sous réserve que l’employeur puisse apporter des preuves suffisantes de ces comportements.
Le Conseil de prud’hommes, puis éventuellement la Cour de cassation, auront alors pour mission d’apprécier la nature des menaces et leur insertion dans un cadre général d’abus.
La jurisprudence constante de la Cour de cassation rappelle que le caractère abusif d’une menace doit être évalué en tenant compte de l’ensemble des faits. Un simple avertissement de saisine des juridictions ne peut pas, à lui seul, justifier un licenciement.
Cependant, lorsque cette menace s’accompagne de comportements répétés ou de tentatives d’intimidation, le juge peut alors considérer qu’il y a un abus de droit. Dans un arrêt récent, la Cour a validé le licenciement pour faute grave d’un salarié qui, au-delà de menacer de porter plainte, avait adopté un comportement menaçant envers ses collègues et supérieurs, démontrant ainsi une volonté de nuire (Cass. soc., 7 déc. 2022, n° 21-19.280).
Cette analyse met en exergue la nécessité pour les employeurs de bien documenter les antécédents et le contexte global dans lequel les menaces sont émises.
Un salarié qui détourne son droit d’agir en justice dans une démarche d’intimidation s’expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’à la rupture du contrat de travail.
La menace d’une action en justice par un salarié, lorsqu’elle est exercée dans les limites du droit et sans abus, est un droit fondamental protégé par la législation française et européenne.
Toutefois, lorsqu’un salarié détourne ce droit à des fins de pression ou d’intimidation, il est possible pour l’employeur de le licencier sur la base d’une faute grave ou pour cause réelle et sérieuse. Il appartient à l’employeur de démontrer le caractère abusif de la menace, en s’appuyant sur des éléments concrets et un contexte global démontrant l’intention malveillante du salarié.