Lorsqu'un litige survient entre un employeur et un salarié, les preuves sont souvent un élément clé pour déterminer l'issue de l'affaire.
Mais une question importante se pose : peut-on produire une preuve obtenue de manière déloyale ou illicite devant le Conseil de prud'hommes (CPH) ?
Pendant longtemps, la réponse à cette question était négative, mais la jurisprudence récente a apporté une évolution significative sur ce sujet. Examinons cette question en détail.
Une preuve déloyale est une preuve obtenue de manière non conforme aux principes de loyauté et de transparence dans la collecte des éléments de preuve. Cela signifie qu’elle a été obtenue en trompant ou en dissimulant à la personne concernée l’existence ou la finalité de l'acte de collecte. Cette preuve peut résulter d’un subterfuge, d’un stratagème ou d'une manipulation. Par exemple, enregistrer une conversation avec un collègue ou un supérieur sans les en avertir est un cas typique de preuve déloyale. L’objectif d’une telle manœuvre est souvent d’utiliser cette preuve à son avantage lors d’un litige, mais cela peut poser des problèmes éthiques et juridiques, notamment en matière de respect des droits de la défense et de l'équité des débats.
Contrairement à une preuve obtenue par des moyens légaux et équitables, une preuve déloyale met en cause le principe de confiance mutuelle entre les parties dans une relation professionnelle. Par exemple, un salarié pourrait enregistrer une conversation avec son employeur sans son consentement pour constituer un dossier en vue de se défendre contre une sanction disciplinaire ou un licenciement. Bien que cet enregistrement puisse effectivement prouver le bien-fondé des arguments du salarié, il est considéré comme déloyal parce que l’employeur n’était pas informé de l’enregistrement.
En revanche, une preuve illicite concerne des violations plus graves des droits fondamentaux, tels que le respect de la vie privée ou le secret des correspondances. Par exemple, si un employeur consulte des fichiers personnels stockés sur l’ordinateur professionnel d’un salarié sans avoir obtenu son autorisation préalable, il s’agit d’une atteinte à la vie privée du salarié. Cette action enfreint les dispositions légales encadrant la protection des données personnelles et le respect de la vie privée sur le lieu de travail.
Exemple concret : Si un salarié enregistre clandestinement une conversation avec son employeur afin de se défendre contre une sanction disciplinaire, cet enregistrement est qualifié de preuve déloyale. Bien que cet enregistrement puisse être utilisé pour démontrer des faits importants, comme un harcèlement moral ou une faute de l'employeur, il a été obtenu de manière non transparente et sans le consentement de la personne concernée, ce qui en fait une preuve problématique devant les tribunaux.
Pendant de nombreuses années, la Cour de cassation a maintenu une position stricte sur la loyauté des preuves en matière civile et notamment dans les litiges prud'homaux. Toute preuve obtenue de manière déloyale était systématiquement écartée par les juges. Ce principe visait à protéger les parties contre des manœuvres de dissimulation ou des stratagèmes visant à tromper l'autre partie .
En matière pénale, la jurisprudence admet la production de preuves obtenues de manière déloyale, à condition que celles-ci soient soumises aux débats contradictoires entre les parties . Ce principe permet d'assurer un équilibre entre le droit à la preuve et les droits fondamentaux de l'autre partie.
Depuis une décision de la Cour de cassation du 22 décembre 2023, une preuve obtenue de manière déloyale peut être recevable devant le juge civil, y compris le CPH. Ce changement s'inscrit dans une volonté d'alignement avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), en se fondant sur le droit à un procès équitable .
Le juge doit effectuer un contrôle de proportionnalité pour décider si une preuve déloyale peut être admise. Deux conditions cumulatives doivent être remplies :
Dans une affaire récente, un salarié avait enregistré une altercation avec son employeur sans que ce dernier ne soit informé de l'enregistrement. L'objectif du salarié était de prouver un accident du travail découlant de cette altercation, arguant que l'employeur avait commis des actes de violence verbale à son égard, constituant ainsi une faute inexcusable de l'employeur.
La production de cet enregistrement, bien que réalisé à l'insu de l'employeur, a été jugée indispensable pour permettre au salarié de prouver l'existence de l'altercation et d'établir le caractère professionnel de l'accident.
Le juge a donc admis cette preuve en se fondant sur le fait que la production de l'enregistrement était essentielle à l'exercice des droits du salarié, car sans cet élément, il aurait été difficile, voire impossible, de prouver la réalité de l'incident.
De plus, le juge a considéré que l'atteinte portée à la vie privée de l'employeur, qui se traduit par l'enregistrement de ses propos sans son consentement, était proportionnée à l'objectif poursuivi par le salarié : prouver un accident du travail. Cette décision illustre la nouvelle approche adoptée par les juges à la lumière de la jurisprudence récente, permettant l'admission de preuves déloyales lorsque celles-ci sont jugées indispensables et proportionnées aux circonstances de l'affaire.
Dans une autre affaire, un employeur avait installé un système de vidéosurveillance au sein de son entreprise, mais sans en informer les salariés ni consulter les représentants du personnel, ce qui constitue une violation des obligations imposées par le Code du travail (article L1222-4).
La salariée en question avait été surveillée à son insu pendant plusieurs jours, et les images issues de la vidéosurveillance ont révélé qu'elle commettait des vols en entreprise.
Malgré l'irrégularité de la procédure de mise en place de la vidéosurveillance, le juge a estimé que ces images constituaient une preuve indispensable pour prouver la faute grave de la salariée, en l'occurrence des vols à répétition.
En outre, le juge a considéré que l'atteinte à la vie privée de la salariée, bien que réelle, était proportionnée à l'objectif poursuivi par l'employeur : protéger les biens de l'entreprise et assurer son bon fonctionnement.
Le fait que la vidéosurveillance ait été utilisée de manière restreinte, sur une courte période et avec un but précis, a également pesé dans la balance. Le juge a pris en compte que l'employeur avait limité son utilisation à la période nécessaire pour détecter et confirmer les vols, sans surveiller la salariée de manière systématique ou disproportionnée. Ce cas montre que même une preuve illicite, comme une surveillance non conforme, peut être recevable si elle est indispensable et proportionnée aux enjeux du litige.
Le droit à la preuve a considérablement évolué, et le juge prud'homal dispose désormais d'une marge d'appréciation pour admettre des preuves déloyales ou illicites sous certaines conditions.
Ces éléments doivent être évalués au regard de leur indispensabilité et de leur proportionnalité, afin de respecter les droits fondamentaux des deux parties en litige. Cependant, la production de telles preuves reste un sujet délicat qui nécessite une analyse minutieuse du juge pour éviter tout abus.
Note : Ces nouvelles orientations ouvrent la porte à des discussions approfondies sur la protection des droits des salariés face aux technologies modernes et aux nouvelles formes de collecte de preuves en entreprise.
1. Qu'est-ce qu'une preuve déloyale dans le cadre d'un litige devant le Conseil des prud'hommes ?
Une preuve déloyale est une preuve obtenue par des moyens qui ne respectent pas les principes de loyauté et de transparence dans la collecte des éléments de preuve. Elle peut être obtenue sans le consentement de la personne concernée ou à son insu, en recourant à un stratagème, une ruse, ou une dissimulation. Par exemple, un enregistrement secret d'une conversation entre un salarié et son employeur, réalisé sans que l'employeur en soit informé, constitue une preuve déloyale. Bien que ces preuves soient souvent obtenues de manière douteuse, elles peuvent parfois être admissibles devant le juge si elles remplissent des critères spécifiques, notamment en matière d'indispensabilité pour prouver un fait contesté.
2. Les preuves déloyales sont-elles admissibles devant le Conseil des prud'hommes ?
Historiquement, les preuves obtenues de manière déloyale étaient systématiquement écartées par les juridictions civiles, dont le Conseil des prud’hommes, en vertu du principe de loyauté des débats. Cependant, la jurisprudence récente a évolué. Depuis une décision de la Cour de cassation du 22 décembre 2023, les preuves obtenues de manière déloyale peuvent être recevables devant le Conseil des prud'hommes, sous réserve du respect de deux conditions cumulatives :
3. Quels exemples de preuves déloyales ou illicites peuvent être recevables devant le juge ?
Plusieurs exemples illustrent l'acceptation récente de preuves déloyales ou illicites devant le Conseil des prud'hommes, à condition qu'elles respectent les critères d'indispensabilité et de proportionnalité :
4. Quelles sont les conditions pour que la preuve illicite soit acceptée par le juge prud’homal ?
Le juge prud'homal applique un contrôle strict pour déterminer si une preuve obtenue de manière déloyale ou illicite peut être admise dans le cadre du litige. Ce contrôle repose sur deux principes :
5. Peut-on utiliser une preuve obtenue sans le consentement d'un salarié ou d'un employeur ?
Oui, il est possible d'utiliser une preuve obtenue sans le consentement de l'autre partie, mais sous des conditions strictes. Le juge devra effectuer un contrôle de la nécessité de cette preuve pour le bon déroulement du litige. Par exemple, si un salarié enregistre une conversation avec son employeur pour prouver un comportement abusif ou une faute grave, cette preuve pourra être admise à condition qu’elle soit indispensable pour démontrer la réalité des faits. De même, un employeur peut produire des images de vidéosurveillance non déclarée pour prouver des vols ou d'autres infractions graves commises par un salarié, à condition que cette preuve soit proportionnée et nécessaire. Toutefois, il est important de rappeler que ces procédés demeurent illicites et que leur recevabilité est évaluée au cas par cas par le juge, en fonction des circonstances spécifiques du dossier.