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Télétravail : les droits du salarié face à un retour imposé en présentiel

Francois Hagege
Fondateur
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Changement des conditions de télétravail : le salarié peut-il refuser ?

Le télétravail s'est progressivement imposé dans les relations professionnelles, particulièrement avec l'évolution des technologies de l'information et les récentes crises sanitaires. Si, au départ, il était une option facultative dans certaines entreprises, il est devenu une norme pour de nombreux salariés.

La question qui se pose aujourd'hui est celle de savoir si, une fois adopté sur une longue période, l'employeur peut revenir en arrière et imposer des modifications aux conditions de travail à distance.

Sommaire

  1. Introduction
  2. Le télétravail : un accord tacite ou formel ?
  3. La jurisprudence : un refus légitime de la part du salarié
  4. Les obligations de l’employeur en cas de changement des conditions de télétravail
  5. Le refus légitime du salarié face à une modification abusive
  6. FAQ

Le télétravail : un accord tacite ou formel ?

La mise en place du télétravail découle généralement d'un accord entre le salarié et l'employeur, formalisé soit dans le contrat de travail, soit dans un avenant à ce dernier. Cet accord permet de définir précisément les modalités de travail à distance, telles que la fréquence du télétravail, les horaires, ou encore les conditions de retour en présentiel.

Cependant, il arrive que le télétravail soit mis en place de manière informelle et prolongée sur plusieurs années. Dans ce cas, la répétition de cette pratique peut s'imposer comme un usage au sein de l'entreprise.

En droit du travail, un usage se caractérise par la répétition d'une pratique sur une période suffisamment longue, avec une certaine constance et généralité. Dans ce cadre, même en l'absence de formalisation écrite, l'employeur, en acceptant le télétravail sur une longue période, ne peut plus revenir unilatéralement sur cette organisation, car cela constituerait une modification d'un élément essentiel du contrat de travail. Cela inclut notamment le lieu de travail, qui fait partie des éléments considérés comme essentiels au contrat.

L'article L1222-9 du Code du travail encadre le télétravail en définissant les droits et obligations des parties.

Lorsque le télétravail a été accepté et appliqué de manière continue pendant une longue période, l'employeur ne peut en modifier les termes sans obtenir l'accord préalable du salarié, particulièrement si les changements envisagés entraînent des conséquences significatives sur l'organisation de sa vie personnelle et professionnelle.

En effet, des changements imposant au salarié de revenir plus fréquemment sur site peuvent bouleverser son quotidien, notamment en matière de transport, de gestion familiale ou d'organisation de son travail. Ainsi, l'employeur doit faire preuve de prudence avant de tenter de modifier des conditions de télétravail établies, sous peine de se voir opposer un refus légitime de la part du salarié et d'exposer l'entreprise à un contentieux devant les Conseils de prud'hommes.

La jurisprudence : un refus légitime de la part du salarié

Un arrêt de la Cour d'appel d'Orléans du 7 décembre 2021 (n° 19/01258) illustre parfaitement cette problématique. Dans cette affaire, un salarié, dont l'employeur avait accepté pendant plusieurs années qu'il ne se rende que ponctuellement au siège de l'entreprise, a vu ses conditions de travail brusquement modifiées.

L'employeur imposait désormais une présence physique au siège de l'entreprise deux jours par semaine, ce qui a entraîné pour le salarié des déplacements supplémentaires ainsi que la nécessité de dormir à l'hôtel.

La Cour a estimé que cette modification unilatérale des conditions de travail portait atteinte à l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle du salarié. Elle a donc jugé que l'employeur ne pouvait imposer un tel changement sans obtenir l'accord préalable du salarié.

En d'autres termes, la pratique du télétravail, telle qu'elle était instaurée depuis plusieurs années, faisait désormais partie intégrante du contrat de travail, et toute modification de ce cadre nécessitait une modification contractuelle en bonne et due forme.

Cette décision met en évidence l'importance de respecter les droits des salariés lorsqu'il s'agit de modifier les conditions de travail après une période prolongée de télétravail. L'arrêt souligne que, même en l'absence d'un écrit formalisant le télétravail, celui-ci peut devenir une pratique acquise, à laquelle l'employeur ne peut déroger sans le consentement du salarié.

Les obligations de l'employeur en cas de changement des conditions de télétravail

L'employeur, lorsqu'il souhaite modifier les modalités de télétravail établies, doit suivre un cadre juridique très précis pour éviter tout litige avec le salarié. En effet, le télétravail, une fois mis en place, s'intègre dans les conditions contractuelles du salarié et en modifie un élément essentiel : le lieu d'exécution de la prestation de travail. Dès lors, l'employeur ne peut pas agir de manière unilatérale pour revenir à une organisation antérieure, sauf à respecter une procédure encadrée par la loi.

Modification du contrat de travail : un élément fondamental

L'article L1221-1 du Code du travail précise que le contrat de travail ne peut être modifié qu'avec le consentement du salarié. Le lieu d'exécution des tâches est considéré comme un élément essentiel du contrat, ce qui signifie que toute modification de cet élément, comme le passage du télétravail au travail en présentiel, constitue une modification du contrat de travail.

Cette modification nécessite impérativement l'accord du salarié. Par conséquent, un retour forcé en présentiel, après plusieurs années de télétravail, peut constituer une faute de l'employeur si cela n'a pas été négocié au préalable.

L'employeur doit donc formaliser sa demande de retour en présentiel en respectant la procédure de modification du contrat de travail, qui implique une consultation du salarié et son accord écrit. Si le salarié refuse cette modification, l'employeur n'est pas en droit de lui imposer un retour au siège sans risquer d'engager sa responsabilité.

Le refus légitime du salarié et les risques pour l'employeur

Le salarié, face à une modification unilatérale de ses conditions de travail, est en droit de refuser cette modification. Ce refus ne peut être considéré comme une faute ou un motif de licenciement, dès lors qu'il s'agit de protéger ses droits contractuels.

En l'absence d'un avenant au contrat de travail acceptant les nouvelles conditions, l'employeur qui tente d'imposer un changement court le risque d'être sanctionné par les Conseils de prud'hommes.

En cas de litige, le salarié peut donc saisir le Conseil de prud'hommes afin de faire reconnaître la modification non consentie et exiger le maintien de ses conditions de travail initiales.

De plus, si la modification imposée entraîne des préjudices importants, notamment sur le plan personnel (temps de trajet allongé, frais de transport, déséquilibre entre vie professionnelle et personnelle), le salarié peut demander des dommages et intérêts. Ces dommages peuvent inclure la compensation pour les dépenses additionnelles encourues (frais de déplacement, hébergement) ou encore les troubles dans les conditions de vie (contraintes familiales ou désorganisation).

La négociation collective : une alternative à la modification unilatérale

Dans certaines entreprises, le télétravail est régi par des accords collectifs ou des chartes négociées entre l'employeur et les représentants du personnel. Ces documents encadrent les conditions de mise en œuvre du télétravail, son organisation, et les droits des salariés. Si un accord collectif sur le télétravail est en place, l'employeur doit impérativement s'y conformer avant d'envisager toute modification.

Le non-respect des clauses d’un accord collectif ou d’une charte peut entraîner de lourdes sanctions, et le salarié pourra se prévaloir des dispositions de ces textes pour refuser toute modification unilatérale de ses conditions de travail.

Il est donc dans l'intérêt de l'employeur de négocier et de formaliser toute modification des conditions de télétravail dans le cadre d'un dialogue avec les salariés, plutôt que de tenter de les imposer de manière unilatérale, sous peine de s'exposer à des contentieux lourds de conséquences.

L'impact des accords individuels sur le télétravail

En l'absence d'accord collectif, l'organisation du télétravail repose souvent sur des accords individuels conclus entre l'employeur et le salarié. Ces accords doivent être scrupuleusement respectés.

Toute modification des modalités prévues dans l'accord initial, telles que le nombre de jours de télétravail ou le lieu d'exercice des tâches, requiert une modification contractuelle, c'est-à-dire un nouvel accord entre les parties. En l'absence d'un tel accord, toute tentative de modification peut être considérée comme une rupture unilatérale des engagements pris par l'employeur, entraînant des conséquences légales.

Le refus légitime du salarié face à une modification abusive

Comme le précise la jurisprudence évoquée plus haut, le salarié est pleinement en droit de refuser une modification des conditions de travail qui a un impact significatif sur sa vie personnelle et professionnelle.

En effet, une modification imposée de manière unilatérale, sans l'accord du salarié, constitue une atteinte à ses droits contractuels. Le télétravail, une fois établi comme mode d'organisation régulier, devient une condition essentielle du contrat de travail, au même titre que le lieu de travail ou la rémunération.

Ainsi, le refus du salarié de voir ses conditions de travail modifiées ne peut, en aucun cas, constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. Un tel licenciement, fondé sur ce motif, serait abusif et pourrait donner lieu à des dommages et intérêts.

En effet, l'employeur qui tente de forcer la main du salarié en modifiant de manière unilatérale les termes de l'accord sur le télétravail s'expose à des sanctions judiciaires, particulièrement si ces modifications entraînent une détérioration des conditions de vie ou de travail du salarié, telles que l'allongement des temps de trajet ou des frais supplémentaires non pris en charge par l'employeur.

Jurisprudence : la protection du salarié contre les modifications abusives

La jurisprudence a toujours protégé le salarié contre les modifications qui bouleversent ses conditions de travail.

La Cour de cassation a réaffirmé à plusieurs reprises que tout changement du lieu de travail qui a un impact important sur la vie du salarié doit être justifié par une cause réelle et sérieuse et faire l'objet d'un accord exprès. Sans cet accord, le salarié est en droit de refuser la modification sans craindre un licenciement.

L'arrêt de la Cour d'appel d'Orléans du 7 décembre 2021 est un exemple clair de la reconnaissance de ce droit : un salarié, dont l'employeur avait modifié les conditions de travail sans son consentement, a vu son refus validé par la Cour, qui a rappelé que l'employeur ne pouvait pas imposer de telles modifications sans un accord préalable.

Formaliser le télétravail dans un avenant au contrat de travail

Pour éviter toute dérive ou litige, il est vivement conseillé aux employeurs de formaliser les conditions de télétravail dès le départ dans un avenant au contrat de travail. Cet avenant permet de définir précisément les modalités de télétravail, telles que le nombre de jours télétravaillés, les heures de travail, le lieu de travail, ainsi que les conditions de retour éventuel en présentiel.

En procédant de cette manière, l'employeur protège les deux parties en encadrant juridiquement les droits et obligations du salarié et de l'entreprise.

Cet avenant présente également l'avantage de prévenir tout conflit futur en établissant des règles claires.

Si des ajustements doivent être faits par la suite, ces modifications devront être négociées et faire l'objet d'un nouvel avenant au contrat de travail, ce qui permet de garantir que le salarié est consulté et donne son accord à chaque étape. En l'absence d'un tel document, l'employeur s'expose à des contentieux devant les Conseils de prud'hommes.

Conclusion

Le télétravail, bien qu'il soit devenu une pratique courante dans de nombreuses entreprises, ne peut être modifié de manière unilatérale une fois établi sur une longue période. L'employeur, en modifiant les conditions de travail sans l'accord préalable du salarié, s'expose à des sanctions judiciaires et à des litiges devant les Conseils de prud'hommes.

Afin de prévenir tout conflit, il est essentiel de formaliser les modalités de télétravail dans un avenant au contrat de travail, garantissant ainsi les droits et obligations des deux parties. Le salarié, quant à lui, est protégé par la loi et la jurisprudence en cas de modification abusive, et son refus ne saurait constituer un motif légitime de licenciement.

FAQ :

1. L’employeur peut-il modifier unilatéralement les conditions de télétravail ?
Non, l'employeur ne peut pas modifier unilatéralement les conditions de télétravail, surtout si elles ont été acceptées et mises en place sur une longue période. Le télétravail devient un élément essentiel du contrat de travail lorsqu'il est pratiqué régulièrement et sur plusieurs années. Dès lors, toute modification de ces conditions, telle que l’obligation de revenir en présentiel, constitue une modification du contrat de travail qui, en vertu de l'article L1221-1 du Code du travail, nécessite l'accord préalable du salarié. En l'absence d'un tel accord, l’employeur s’expose à des sanctions judiciaires pour modification abusive, car il ne peut pas modifier des éléments essentiels du contrat sans consulter le salarié.

2. Un salarié peut-il refuser une modification des modalités de télétravail imposée par l’employeur ?
Oui, le salarié a pleinement le droit de refuser une modification unilatérale des modalités de son télétravail. Ce refus est considéré comme légitime, surtout si la modification a un impact sur ses conditions de vie personnelle ou professionnelle. Le salarié ne peut pas être sanctionné ou licencié pour avoir refusé une telle modification, car le changement des conditions de télétravail est une modification du contrat de travail qui nécessite son accord exprès. La jurisprudence, notamment l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans du 7 décembre 2021 (n° 19/01258), souligne que toute modification des conditions de télétravail sans le consentement du salarié est abusive. Ce dernier peut donc refuser sans que cela ne constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

3. Quelles sont les obligations de l’employeur lors d’une modification du télétravail ?
L'employeur est tenu de respecter plusieurs obligations légales lorsqu'il souhaite modifier les conditions de télétravail. Tout d’abord, il doit obtenir l'accord écrit du salarié pour toute modification des modalités de télétravail, comme le passage du télétravail au travail en présentiel. L’article L1222-9 du Code du travail impose que les conditions de télétravail soient encadrées par un accord collectif, une charte ou un avenant au contrat de travail. De plus, l'employeur doit justifier cette modification par des raisons objectives et sérieuses, telles qu'une évolution des besoins de l'entreprise. Toute modification sans respect de ces formalités peut être considérée comme une faute et le salarié pourra saisir le Conseil de prud’hommes pour contester cette décision.

4. Que faire si l’employeur modifie les conditions de télétravail sans accord ?
Si l'employeur procède à une modification unilatérale des conditions de télétravail, le salarié a plusieurs recours juridiques. Il peut tout d’abord refuser cette modification, sans craindre de représailles, car cela constitue une atteinte à ses droits contractuels. En cas de désaccord persistant, le salarié peut saisir le Conseil de prud'hommes pour faire valoir ses droits et demander le maintien de ses conditions de travail initiales. Par ailleurs, si la modification entraîne des préjudices importants (coûts de déplacement, désorganisation familiale, troubles dans les conditions de vie), le salarié peut demander des dommages et intérêts. La jurisprudence a clairement établi que l’employeur qui agit de manière unilatérale sur les conditions de travail, en particulier sur le télétravail, engage sa responsabilité.

5. Comment formaliser les conditions de télétravail dans un contrat ?
Pour éviter toute ambiguïté ou litige ultérieur, les conditions de télétravail doivent être formalisées par écrit dans un avenant au contrat de travail. Cet avenant doit préciser les modalités comme le nombre de jours télétravaillés, les horaires de travail, le lieu d’exécution des tâches et toute autre condition spécifique liée à cette organisation du travail. En procédant ainsi, l’employeur et le salarié encadrent juridiquement leurs droits et obligations, garantissant ainsi une meilleure protection en cas de litige. Si l’employeur souhaite modifier ces conditions, il doit conclure un nouvel avenant avec l'accord exprès du salarié. En l’absence de cet avenant, l’employeur s’expose à des sanctions en cas de modification non négociée, car cela constituerait une modification abusive des termes du contrat.

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