Comment annuler un engagement pris par une personne vulnérable ?

Estelle Marant
Collaboratrice
4 minutes
Partager

Peut-on annuler un engagement pris par une personne vulnérable ?

Les engagements pris par des personnes vulnérables peuvent souvent être défavorables pour elles, que ce soit en raison de pressions extérieures, de tromperies, ou simplement d'une capacité de discernement diminuée.

Dans ces situations, le droit français offre des possibilités pour protéger ces individus en permettant l'annulation ou la modification de leurs engagements. Mais quand et comment ces annulations peuvent-elles être réalisées ?

Explorons les mécanismes juridiques disponibles.

Comprendre les protections légales pour les personnes vulnérables

En droit français, une personne vulnérable est une personne qui, en raison de ses capacités mentales ou physiques diminuées, n'est pas pleinement capable de comprendre ou de gérer les conséquences de ses actes juridiques.

Cette vulnérabilité peut résulter de diverses conditions, notamment :

  • L'âge avancé, qui peut réduire la capacité d'une personne à comprendre des situations complexes.
  • Les maladies mentales, telles que la démence ou la dépression sévère, qui peuvent altérer le jugement et la prise de décisions.
  • Les troubles cognitifs résultant d'accidents ou de maladies, qui impactent la capacité de raisonnement.
  • Les handicaps physiques qui, lorsqu'ils sont associés à des limitations cognitives, peuvent également affecter la capacité à comprendre et à gérer des situations juridiques.

Pour protéger ces individus contre des engagements défavorables ou abusifs, le droit prévoit des mécanismes d'annulation ou de modification des engagements juridiques.

Ces mécanismes sont conçus pour éviter que des personnes vulnérables soient exploitées ou qu’elles prennent des décisions qu’elles ne comprennent pas pleinement.

Mécanismes généraux applicables à tous

Les mécanismes généraux sont des règles de droit commun qui s'appliquent à toute personne, sans distinction de statut ou de capacité.

Ces règles peuvent être invoquées par n'importe qui pour annuler un acte juridique, à condition que les critères légaux soient remplis. Elles reposent principalement sur les notions de vices du consentement et d'insanité d'esprit.

  • Vices du consentement : En droit, le consentement est l'un des éléments fondamentaux pour qu'un acte juridique soit valide. Pour qu'un engagement soit considéré comme valable, il doit être donné librement et en pleine connaissance de cause. Lorsqu'une personne vulnérable prend un engagement, il est essentiel que son consentement ne soit pas entaché par l'erreur, le dol ou la violence.
    • Erreur : C'est une fausse croyance sur un élément déterminant du contrat. Par exemple, une personne âgée peut signer un contrat de vente en croyant que le prix proposé reflète la valeur réelle de l'objet vendu, alors que ce n'est pas le cas. Si cette erreur porte sur un élément essentiel du contrat, l'acte peut être annulé.
    • Dol : Le dol désigne l'ensemble des manœuvres frauduleuses utilisées pour tromper une personne et l'amener à conclure un contrat. Dans le cas d'une personne vulnérable, cela pourrait se traduire par l'exploitation de sa confiance ou de son manque de discernement. Par exemple, un individu pourrait manipuler une personne en lui mentant sur la nature de l'accord pour obtenir un avantage.
    • Violence : La violence peut être physique ou morale et se manifeste par une pression exercée sur une personne pour la contraindre à accepter un accord. Cette contrainte peut être évidente, comme des menaces physiques, ou plus subtile, comme une pression psychologique intense. Dans les deux cas, l'acte signé sous la contrainte peut être annulé par un juge.

Quand un vice du consentement est établi, le juge a le pouvoir d'annuler l'acte juridique en question, protégeant ainsi la personne vulnérable d'une décision qui pourrait lui être préjudiciable.

L’annulation permet de rétablir la personne dans sa situation antérieure, comme si l’acte n’avait jamais existé.

Mécanismes spécifiques aux majeurs protégés

En plus des mécanismes généraux, la loi prévoit des dispositifs spécifiques pour les majeurs protégés, c'est-à-dire les personnes qui font l’objet d’une mesure de protection juridique telle que la tutelle, la curatelle, ou la sauvegarde de justice. Ces mesures sont mises en place par le juge des tutelles et visent à protéger les intérêts des personnes dont les facultés mentales ou physiques sont altérées.

Les mesures de protection comme la tutelle ou la curatelle prévoient des règles spécifiques pour les actes juridiques accomplis par les personnes protégées.

Par exemple :

  • Sous tutelle : Les actes passés sans l'autorisation du tuteur peuvent être nuls de plein droit. La tutelle suppose une représentation complète de la personne dans tous les actes de la vie civile.
  • Sous curatelle : Les actes faits sans le consentement du curateur peuvent être annulés s’ils causent un préjudice. La curatelle est une assistance dans la gestion des affaires personnelles, avec plus ou moins de restrictions selon le type de curatelle.
  • Sous sauvegarde de justice : Les actes peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d'excès si la personne n'avait pas la capacité de comprendre ou de gérer pleinement ses engagements.

Les dispositifs de protection juridique visent à équilibrer la protection des personnes vulnérables avec leur autonomie, en les aidant à gérer leurs affaires tout en les protégeant des abus et des erreurs de jugement.

Ces protections sont essentielles pour assurer que les décisions prises par ou pour les personnes vulnérables soient dans leur meilleur intérêt et reflètent réellement leurs volontés et besoins.

Insanité d’esprit

Un autre mécanisme général pour l’annulation d’un engagement pris par une personne vulnérable repose sur l’insanité d’esprit. Selon l’article 414-1 du Code civil, une personne doit être saine d’esprit pour conclure un acte juridique valide.

Si, au moment de la signature de l'acte, la personne n'était pas en état de discernement à cause d'un trouble mental, l'acte peut être déclaré nul.

La raison est simple : l’absence de capacité mentale signifie que la personne n’a pas pu donner un consentement libre et éclairé.

Comment prouver l’insanité d’esprit ?

Pour que l'insanité d'esprit soit reconnue par un juge, il est nécessaire de prouver que la personne n'était pas saine d'esprit au moment de la prise de l’engagement. Cette preuve peut être apportée par différents moyens :

  • Certificats médicaux : Des rapports établis par des professionnels de la santé attestant d'une maladie mentale ou d’un trouble psychologique au moment de l’acte peuvent constituer des preuves solides.
  • Témoignages : Les déclarations de proches, de collègues, ou d’autres personnes ayant observé le comportement de la personne vulnérable peuvent également aider à établir son état mental.
  • Antécédents médicaux : Des dossiers médicaux antérieurs montrant un historique de troubles mentaux peuvent appuyer la preuve d'insanité d’esprit.

La jurisprudence admet aussi la preuve par présomption dans certains cas, ce qui signifie que l'insanité d'esprit peut être déduite de certaines circonstances.

Par exemple, si une personne signe un testament alors qu’elle est déjà dans un état de démence avancée ou sous tutelle, le testament peut être annulé post-mortem. Les juges peuvent se baser sur le fait que, compte tenu de son état de santé, la personne n’était pas capable de prendre une décision éclairée au moment de la rédaction du testament.

Il est important de noter que l’insanité d’esprit doit être prouvée au moment précis de l’engagement. Un état mental dégradé à une autre période ne suffit pas pour annuler l’acte, sauf si l’on peut démontrer que ce trouble était présent et influençait le comportement de la personne au moment de la conclusion de l’acte.

Lésion en matière de vente immobilière

La lésion est un mécanisme de protection juridique qui intervient principalement dans le cadre des ventes immobilières, pour protéger les vendeurs contre des transactions déséquilibrées.

En droit français, la lésion est définie par l’article 1674 du Code civil, qui permet à un vendeur de demander la rescision de la vente si le prix de vente d’un bien immobilier est inférieur de plus de 7/12ème à sa valeur réelle.

Conditions pour invoquer la lésion

Pour que la lésion soit reconnue, plusieurs conditions doivent être remplies :

  • Déséquilibre significatif : Il doit y avoir un déséquilibre important entre le prix de vente et la valeur réelle du bien au moment de la transaction. Cette évaluation est souvent réalisée par des experts immobiliers qui comparent le prix de vente avec les prix du marché.
  • Action en rescision : Le vendeur lésé doit engager une action en rescision dans un délai de deux ans à compter du jour de la vente, comme le stipule l’article 1676 du Code civil. Passé ce délai, la demande de rescision n’est plus recevable.
  • Expertise : Pour prouver la lésion, la loi exige généralement un rapport de trois experts indépendants qui attestent que la vente a été réalisée à un prix nettement inférieur à la valeur du marché. L'article 1678 du Code civil précise cette nécessité d’une expertise professionnelle pour évaluer la lésion.

Protection des vendeurs vulnérables

Ce mécanisme est particulièrement pertinent pour les vendeurs vulnérables, qui peuvent être plus facilement influencés ou mal conseillés lors de la vente de leurs biens. Par exemple, une personne âgée ou en difficulté financière pourrait être incitée à vendre sa maison à un prix nettement inférieur à sa valeur réelle, ne réalisant pas pleinement la perte qu’elle subit.

La rescision pour lésion offre une protection en permettant d’annuler la vente ou d’ajuster le prix de vente à sa juste valeur.

Si la rescision est prononcée, l’acheteur a le choix de rendre le bien contre remboursement ou de payer la différence pour atteindre le prix de vente équitable. Cette disposition vise à garantir que les transactions immobilières soient justes et équilibrées, et à protéger les parties vulnérables contre les abus ou l’exploitation.

La « période suspecte » pour les majeurs protégés

Le droit français prévoit des protections spécifiques pour les majeurs protégés, c’est-à-dire les personnes qui font l’objet d’une mesure de protection juridique comme la tutelle, la curatelle ou la sauvegarde de justice.

Parmi ces protections figure la notion de « période suspecte », qui est un outil essentiel pour annuler des actes juridiques potentiellement abusifs ou défavorables conclus par une personne vulnérable avant l’ouverture officielle de la mesure de protection.

Qu’est-ce que la « période suspecte » ?

La période suspecte est définie à l’article 464 du Code civil. Elle concerne les actes juridiques passés par une personne dans les deux années précédant l’ouverture de sa mesure de protection.

Cette période est qualifiée de « suspecte » car elle correspond souvent à une phase où la personne commençait déjà à montrer des signes d’incapacité à gérer ses affaires, mais avant qu’une protection juridique formelle ne soit en place.

Durant cette période, les actes accomplis par la personne peuvent être annulés, sous réserve de démontrer que la personne était inapte à défendre ses intérêts.

Cela signifie que si la personne a conclu un contrat ou pris une décision juridique alors qu'elle n'était pas en mesure de comprendre pleinement les conséquences de ses actes, ces décisions peuvent être remises en question et potentiellement annulées.

Conditions pour l’annulation d’un acte durant la période suspecte

Pour qu’un acte soit annulé sur la base de la période suspecte, il est nécessaire de prouver deux éléments clés :

  1. Inaptitude à défendre ses intérêts : Il doit être prouvé que, au moment de la conclusion de l'acte, la personne n'était pas capable de défendre ses propres intérêts. Cette inaptitude peut être due à une altération de ses facultés mentales ou physiques, la rendant incapable de comprendre ou de gérer l'acte en question. Par exemple, une personne souffrant de troubles cognitifs avancés peut ne pas être en mesure de saisir les implications financières d'un contrat de vente.
  2. Connaissance ou notoriété de l’inaptitude : Il doit également être démontré que cette inaptitude était notoire (connue publiquement) ou que le cocontractant (la partie opposée à l'acte juridique) en avait connaissance. Cela signifie que si l'autre partie à l'acte savait ou aurait dû savoir que la personne était incapable de comprendre l’acte, alors cet acte peut être annulé. Par exemple, si un vendeur de biens immobiliers savait que l’acheteur était en état de démence et a quand même procédé à la vente, cette connaissance peut être utilisée pour annuler la vente.

Procédure et effets de l’annulation

Lorsqu'un acte est annulé durant la période suspecte, cet acte est considéré comme nul dès l’origine, ce qui signifie qu’il est réputé ne jamais avoir existé. L'annulation de l'acte a pour conséquence de replacer les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la conclusion de l'acte.

Par exemple, si un bien immobilier a été vendu pendant la période suspecte, la nullité de la vente entraînerait le retour de ce bien à son propriétaire initial, et le remboursement des sommes versées par l’acheteur.

Pour initier la procédure d’annulation, il est généralement nécessaire que le tuteur, le curateur, ou toute autre personne autorisée représente les intérêts du majeur protégé. Cette action doit être introduite devant le Tribunal judiciaire, et il appartient aux demandeurs de fournir des preuves suffisantes pour justifier l’annulation de l’acte en question.

Pourquoi la « période suspecte » est-elle importante ?

La notion de période suspecte est cruciale car elle permet de protéger les majeurs vulnérables qui, avant même que leur état soit officiellement reconnu et une mesure de protection mise en place, ont pu être manipulés ou contraints à prendre des décisions juridiques qui ne servent pas leurs intérêts.

En annulant les actes passés durant cette période, le droit français vise à corriger des injustices et à prévenir les abus financiers ou matériels contre des personnes en situation de faiblesse.

Cette protection offre une garantie rétroactive aux personnes vulnérables et à leurs proches, en leur permettant de revenir sur des actes passés au moment où la personne n'était pas encore sous une mesure de protection formelle, mais montrait déjà des signes d'incapacité.

Conclusion

En résumé, plusieurs mécanismes juridiques permettent d'annuler ou de modifier les engagements pris par des personnes vulnérables. Que ce soit par des vices du consentement, l'insanité d'esprit, la lésion ou des protections spécifiques pour les majeurs protégés, le droit français met en place un cadre robuste pour protéger ces personnes contre les décisions qui pourraient leur être préjudiciables. Lorsqu'un proche vulnérable prend un engagement défavorable, il est essentiel de consulter un professionnel du droit pour explorer les options disponibles et garantir une protection adéquate.

FAQ : Annulation d'un engagement pris par une personne vulnérable

1. Quels sont les délais pour annuler un engagement pris par une personne vulnérable ?

Les délais pour annuler un engagement pris par une personne vulnérable dépendent du fondement juridique de l'annulation. En général, l'action en nullité pour insanité d'esprit ou vice du consentement (erreur, dol, violence) doit être introduite dans un délai de cinq ans à partir du moment où la personne ou ses représentants ont pris connaissance de l'acte ou de la capacité réduite au moment de l'engagement. En matière de lésion immobilière, l’action en rescision doit être engagée dans les deux ans suivant la vente du bien. Il est crucial de respecter ces délais pour éviter que le droit d'annulation ne soit prescrit.

2. Un engagement peut-il être annulé si la personne vulnérable n’est pas sous mesure de protection juridique ?

Oui, un engagement pris par une personne vulnérable peut être annulé même si elle n’est pas officiellement sous mesure de protection juridique comme la tutelle ou la curatelle. Les mécanismes généraux, tels que les vices du consentement (erreur, dol, violence) ou l’insanité d’esprit, peuvent être invoqués pour annuler un acte si l’on prouve que la personne n’avait pas la capacité mentale de comprendre ou de gérer ses engagements au moment de la signature. L’annulation est possible si la vulnérabilité de la personne au moment de l’acte est démontrée par des preuves comme des certificats médicaux ou des témoignages.

3. Comment peut-on prouver que l’autre partie connaissait la vulnérabilité de la personne au moment de l’engagement ?

Pour prouver que l’autre partie connaissait la vulnérabilité de la personne au moment de l’engagement, il est nécessaire de fournir des preuves montrant que la condition de la personne vulnérable était notoire ou connue. Cela peut inclure des échanges de courriels ou de messages dans lesquels l’autre partie fait référence à la condition de la personne, des témoignages de personnes présentes lors de la transaction, ou des preuves d’interactions antérieures où la vulnérabilité était apparente. Par exemple, si un vendeur savait que l’acheteur était en état de démence et a procédé à la vente en profitant de cet état, cela pourrait être une preuve significative pour annuler l’acte.

4. Que se passe-t-il si un acte est annulé pendant la période suspecte pour les majeurs protégés ?

Si un acte est annulé pendant la période suspecte pour les majeurs protégés, cet acte est considéré comme nul dès l’origine. Cela signifie que l’acte est réputé n’avoir jamais existé juridiquement, et les parties sont remises dans leur situation antérieure. Par exemple, si un bien immobilier a été vendu pendant la période suspecte, l’annulation de la vente entraînera le retour du bien à son propriétaire initial et le remboursement de l’acheteur. Cette mesure vise à protéger les intérêts des personnes vulnérables en corrigeant les actes juridiques défavorables conclus avant la mise en place d’une mesure de protection.

5. Est-il possible d'annuler un acte juridique pris sous la pression psychologique sans preuve de violence physique ?

Oui, il est possible d'annuler un acte juridique pris sous la pression psychologique, même sans preuve de violence physique. En droit français, la violence en tant que vice du consentement peut être morale ou psychologique. Si une personne a été contrainte de signer un acte en raison de menaces, d'intimidations, ou de manipulations émotionnelles qui lui ont fait craindre pour sa sécurité, son bien-être ou celui de ses proches, l'acte peut être annulé. Les preuves de cette pression peuvent inclure des témoignages, des enregistrements, ou toute autre documentation montrant que la personne a agi sous contrainte morale.

Vous avez un problème juridique ?

Contactez-nous

Retrouvez-nous sur les réseaux !

Retrouvez nos vidéos tous les jours, sur nos réseaux sociaux, pour éviter les arnaques du quotidien ensemble !